Le destin imprévisible.

C'était le sujet que Liliana s'était auto-attribuée pour son article du mois, sur son blog personnel. En tant qu'étudiante, elle avait, certes, toutes sortes d'obligations qu'il est peu utile de narrer. Mais en tant que future journaliste internationale, elle s'en imposait d'autres par-dessus, afin de demeurer à la pointe. Or, l'essor des blogs était une mouvance dans laquelle elle s'était mise très tôt, découvrant que parfois, certains grands journalistes ont commencés par publier sur le web quelques petites anecdotes locales qui ont révélés en eux un grand talent, un talent qui leur a valu un poste d'avenir, une carrière.
Aussi, elle souhaitait, très tôt, trouver l'article de blog qui lui vaudrait peut-être un Pulitzer ou, au moins, une embauche. En dépit de ses activités usuelles, elle avait déjà beaucoup de visiteurs sur quelques articles-phares, résumant son point-de-vue sur la crise en Europe, sur l'histoire du conflit entre les États-Unis et la Russie en s'axant sur l'aspect psychologique de cette concurrence, sur d'autres thèmes plus courant du quotidien. Certains étudiants s'étaient même inspirés de son travail pour leurs dissertations, d'autres, lisaient juste ses articles pour y comprendre quelque chose sur un sujet particulier, pour y voir plus clair. Petit-à-petit, elle se faisait une réputation de "source de référence" qui ne manquerait pas d'être inscrit dans son CV un beau jour. Seulement, voilà ! L'histoire, c'est bien beau, mais elle avait encore un cruel manque d'histoires plus...personnelles, de moments plus intimes auxquels tout-un-chacun peut s'identifier.

"Le destin imprévisible".
C'était la page blanche sur laquelle elle planchait depuis un quart d'heure. Dans sa chambre, pour une fois, c'était le calme absolu, et elle devait se douter que cela ne durerait pas. Face à la fenêtre de la chambre, le soleil, en plus, venait lui taper en plein visage, la gênant quelque peu dans sa réflexion. Elle rongeait un crayon, anxieuse car comme tous les génies, il n'y avait pas uniquement la place pour un grand vide dans sa tête, mais aussi pour toutes les perturbations dues aux angoisses : "Il faut que tu t'y mettes", "si tu ne ponds pas ce genre de page en un rien de temps, tu ne seras jamais une grande reporter", "T'as tapée le titre, c'est bien, maintenant, écris !"...Et, forcément, rien ne vint sur le moment-même. Ni une minute plus tard. Ni deux.

Elle finit par être tellement exaspérée de sa "prestation" qu'elle en avait chaud, et elle se leva d'un coup, se prenant les cheveux entre ses mains, grognant un "Grrrrmmmh-JE N'Y ARRIVERAI JA-MAIS !". La chaise avait valsée sous son impulsion, et elle en fit le tour sans même s'en soucier. Elle se jeta sur le placard, prit quelques affaires, les fourra dans un sac à dos et se dit qu'il était temps de se changer les idées. Pour se faire, elle pensa pas forcément à être seule, mais étrangement, elle ne pensa pas non plus à ses soutiens habituels, Hycha, Haïden, etc. Étrangement ? Pas tant que ça ! Avouer sa défaite, son malaise allait être une obligation dans les discussions, tôt ou tard. Mais ce serait aussi admettre qu'elle n'est pas une grande reporter, qu'elle doute et que le doute freinera toujours ses ambitions. C'est comme tomber de cheval : plus on a le temps d'y penser, plus ce sera difficile de remonter en selle. Elle se surprit à envoyer un SMS à une nouvelle amie, Alexandra, dont elle avait fait la rencontre la veille ou presque. Il s'était passée des choses entre elles, mais bien plus délicates qu'avec Hycha, par exemple. Disons qu'entre elles, c'était le début d'une relation à la fois passionnée et conflictuelle, sans pour autant même mériter le titre pompeux de "relation". Elles se connaissaient et ça s'était passé bizarrement, fin de l'histoire. Toutefois, elle savait qu'il n'y aurait rien de tel pour la détendre que de voir un visage nouveau, de partager de nouvelles choses. Elle envoya son SMS et n'y repensa plus.

Un quart d'heure plus tard, elle se changeait dans les vestiaires de la piscine, optant pour un bikini à ficelles aux motifs de l'Angleterre. Elle sortit de la cabine, prit la température du bord de l'eau, puis plongea directement dedans. Alexandra n'était pas encore arrivée, alors elle se dit que c'était un bon moment pour quelques longueurs, ce qu'elle fit, question de s'échauffer. Il est à rajouter, toutefois, qu'en dépit de son penchant studieux et blogueuse, Lili' était loin d'avoir des kilos en trop ! Une fois dans l'eau, les battements de bras et de jambes semblaient être ceux d'une nageuse pro', voire d'une championne junior. Cela faisait tout simplement partie de l'héritage paternel ! Son père, pour parfaire l'excellente éducation de sa fille, lui avait payé cours de danse, de natation, de sport de combat...Tout cela avec une seule condition : exceller à la perfection dans chaque domaine. Aussi, la piscine était en quelque sorte son "boudoir" en Angleterre : lorsqu'elle était de mauvaise humeur ou que quelque chose la travaillait, elle allait une fois sur deux faire des longueurs. C'était encore le cas aujourd'hui mais, fort heureusement, son amie venait d'arriver. Elle nagea vers le rebord en la voyant et vint lui dire "Hey, comment ça va, aujourd'hui ? Ça te dit, quelques longueurs, puis on se fait une course ?".

Ahh, l'esprit compétitif de Lili' ! Elle avait toujours besoin de briller dans un domaine lorsque les autres n'allaient pas comme elle le voulait...L'un de ses défauts, mais qui faisait parfois une qualité !

Lili' regarda Alex' dans l'eau, elle aussi, en position de départ. Elle lui dit "trois, deux...", elle regarda devant soi pour le "un"...Et c'était parti pour un aller-retour à toute allure où Lili' mit tous ses efforts, déploya tout ce qu'elle avait en réserve pour une nage rapide. Elle avait presque malsainement besoin de cette victoire et cela tournait à l'obsession. Elle remuait dans l'eau avec force, comme s'il s'agissait du chemin à parcourir vers sa carrière journalistique, comme si l'eau était une gêne qui lui empêchait d'atteindre sa gloire. Un demi-tour sous-marin et elle repartait de plus belle, avec plus de rage, plus de soif de vaincre. "Plus que quelques mètres", pensa-t-elle, comme si, derrière cet effort, l'enjeu de sa vie était placé. Comme si, au bout de la course, il y avait le Pulitzer, le Prix Nobel ou toute autre distinction qui vous ferait fantasmer. Elle toucha enfin le bord d'arrivée et...

...Et Alex' était arrivée bien avant, la regardant avec surprise. Lili' fût frappée d'étonnement. Après tous ces efforts, elle avait été battue. Mais ce, pour une bonne raison : Parfois, lorsque l'on s'adonne avec trop de force dans un exercice, l'on méprise ses acquis, l'on est pas concentrés sur ce qu'il nous entoure. Certes, Lili' avait déployée beaucoup de rage et de force...Mais le secret de la natation réside en ne faisant qu'un avec l'eau, pas en la repoussant comme une masse gênante. Mais tout cela, elle n'en avait pas encore conscience. Elle soupirait et se laissait couler la moitié du visage, honteuse et déprimée par ce piètre résultat, avant de remonter enfin et de s'asseoir au bord, soupirant de fatigue. Car, même si elle avait fait n'importe quoi...Elle l'avait fait avec conviction, quoi qu'on en dise ! Elle agitait ses pieds dans le "vide" du bord de la piscine et soupirait, gardant la mise basse.

Spoiler: